Le rêve éveillé

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    Allongé et détendu, les yeux clos, dans une pièce calme et peu éclairée, le rêveur commente les images ou morceaux d'image qui apparaissent sur son écran intérieur. Il se trouve comme au cinéma à attendre les premières images du film qui peu à peu l'emmèneront dans une histoire dont il en ressentira les effets émotionnellement et corporellement.

    Bien qu'on puisse pratiquer seul le rêve éveillé en s'enregistrant avec un dictaphone, il vaut mieux dans un premier temps que le rêveur soit assisté par une personne habituée à cette pratique. Il notera le récit du rêve et pourra ensuite échanger avec le rêveur et lui faire préciser certains passages et l'aider à faire le lien avec la réalité de ce que vit le rêveur. Il pourra aussi lancer une image de départ si le rêveur peine à démarrer, ainsi que suggérer une évolution possible en se servant d'un élément du rêve quand le rêve se fige trop longtemps.


Le langage du rêve éveillé

    Comme le rêve nocturne, le rêve éveillé produit des images symboliques qu'il convient d'interprèter. Elles sont organisées en scénario dans le but de faire du sens.

    Si le rêve nocturne peut-être ponctuel, bien qu'il vaille mieux qu'il s'inscrive dans une série, le rêve éveillé, lui, doit s'inscrire dans une cure à raison de un à deux rêves par semaine sur une durée variable selon le désir et l'évolution de la personne. C'est au contraire du rêve nocturne, le sentiment éprouvé dans le rêve qui est promoteur de nouveaux comportements parce qu'on est conduit à le vivre avec les sensations physiques et sentiments qui s'y attachent.

    Durant une cure, on distingue généralement plusieurs phases. 

    Dans un premier temps, le patient explore sa problématique personnelle, sa relation aux personnes qui étaient présentes dans son enfance, et si c'est instructif, ce n'est pas toujours agréable car on revisite ses frustrations et empêchements divers.

   Ensuite vient une période incertaine, suivie par un basculement vers une expérimentation de comportements nouveaux. La progression se fait donc par paliers avec une production d'images symboliques de franchissement de seuil ou des rencontres avec des personnages tutélaires qui sont là pour aider au franchissement ou bien pour révéler des comportements typiques (personnages mythologiques).

     Voici quelques scènes:

    Une dame de soixante-dix ans qui avait passé sa vie à séparer, ranger, ordonner, lors de son premier rêve éveillé:
— La mer. Un dauphin saute par dessus les vagues. Mais c'est drôle, les vagues sont carrées !

    Une femme de quarante ans:
— Je vois une vache dans un champ, elle a un gros pis. J'ai un énorme pis dans les bras, c'est lourd, très lourd et je n'arrive pas à le poser.
    Elle était préoccupée par ses enfants et ne se rendait pas compte à quel point cela lui pesait.

    Un homme de quarante ans qui ne voyait les choses que de façon négative:
— Je suis chez mes parents, dans le jardin. Il y a un phallus qui sort de terre. Un grand phallus blanc de trois mètres de haut. Il est vivant et chaud. Il se dégage de lui une chaleur humaine forte, une présence amoureuse d'un type particulier, comme ce que je ressentais avec un frère de mon père. L'homme, quoi ! C'est un père aimant, protecteur. Je sens quelque chose de viril... puis, une fleur métallique surgit de terre d'un coup à côté du phallus, un genre de liseron en laiton aux bords coupants. La fleur se met à tourner, coupe le phallus qui tombe dedans et disparaît. J'en suis complètement retourné !
    Rêve de castration symbolique. Mère toute puissante et père inexistant. Mais, on voit dans ce rêve une amorce de réhabilitation du père par la présence émotionnelle de l'amour viril.


Le rêve éveillé, technique d'imagination active

   Il arrive que des patients parviennent à parler avec les personnages du rêve et que ceux-ci leur répondent. On parle alors d'imagination active. Cependant ce n'est pas le lot de tout le monde et ça n'a pas d'importance car chacun peut faire du rêve éveillé qui est tout aussi aussi transformant que l'imagination active. D'ailleurs, le Rêve Eveillé est une technique d'imagination active.

   Je tiens à présenter ci-dessous et en téléchargement, un exemple d'imagination active qui vient clore une cure de 26 rêves éveillés. C'est un dialogue intérieur entre une femme de 37 ans et un vieux sage qui lui révèle sa mission, sa Tâche sur terre et comment la mettre en oeuvre.
    Elle est professeur de yoga. Elle a fait de brillantes études scientifiques et enseigna les mathématiques durant dix ans.
    Le contexte dans lequel elle a grandi était une entreprise familiale que le père d’origine modeste dirigeait sous le regard de sa femme et de sa belle-mère, qui en étaient les héritières et propriétaires.
   Le déroulement de la cure a mis à jour le conflit entre le père et le duo maternel grand-mère mère, qui a pesé sur l’enfant sommé de choisir entre les deux parties. Une double contrainte qui avait occasionné un refus de grandir et qui s’est traduite par une importante scoliose.
   Elle s’est formée au yoga dans le but de trouver remède à sa scoliose en Inde auprès d’un maitre hindou. Ce qui explique que les personnages apparus durant la cure appartiennent à l’hindouisme.
  Voici le texte de ce dialogue intérieur, à l'instar des Dialogues avec l'Ange biens connus. Le symbole qui soutend cet enseignement est la graine dont le foetus en est une expression empèchée.

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Le rêve initial  (témoignage personnel)

    En général, le tout premier rêve d'une cure annonce la problématique de la personne et son retournement possible.

     J'ai fait mon premier rêve éveillé seul dans ma chambre. J'étais si impatient de découvrir cette pratique que je ne pouvais attendre le premier rendez-vous de cure avec le praticien. Ce premier rêve,dit rêve initial, m'a donné l'orientation générale de la cure et la problématique principale à traiter.
    Voici :
    Le nain Grincheux m'invite à entrer dans le tunnel d'une vieille mine. Je le suis et il me mène à un trésor fait de pièces d'or et de pierres précieuses. 
     La proposition du rêve initial est ici, de transformer ma négativité en richesse.
   Je suis issu d'une famille qui voyait les choses et les comportements des gens de manière très négative. En grandissant, j'ai donc fait mien ce comportement familial qui consiste à reprocher aux autres leurs attitudes médiocres. Dans le rêve les petits personnages, lutins, gnômes, nains, représentent des comportements humains types comme les sept nains de Blanche-Neige. Ils travaillent dans des mines. Donc, ils aident à creuser la matière psychique afin de révéler ce qui se trouve caché dans l'ombre.  
      Comment est-ce possible de voir une négativité comme un atout ? Hé bien c'est très simple. Tout ce qui est inconscient est projeté sur choses et gens. 
    Mais d'où vient cette manie de juger les comportements des autres ? Bien, de moi-même. Je vois les comportements inadéquats d'autrui et au lieu d'en souffrir, de râler et de fustiger ces comportements, si j'en faisais quelque chose de cette vision-là ? Si j'aidais autrui à voir par lui-même les propres comportements inadéquats dont il souffre ? 
    C'est le retournement du mal dont je souffre qui se trouve projeté sur autrui, en bien que je mets au service d'autrui.  C'est le message central des Dialogues avec l'Ange et de toutes les spiritualités de la Terre. Ce sujet a été traité dans la rubrique "le quotidien comme exercice": Voir ici...
     Mais, comme je ne suis pas Superman, je n'ai pas vraiment percuté lors de ce premier rêve éveillé. Il m'en faudra beaucoup d'autres, jusqu'à ce rêve non plus initial mais initiatique accompagné d'un personnage tutélaire qui confirmera ce retournement, et qui deviendra ma Tâche, ma mission sur Terre. Voir ici...

L'effet du rêve éveillé  (exemple)

    Chloé est allongée sur le divan, les yeux fermés, elle raconte : Je suis sur une plage... il n'y a personne... je m'ennuie... des crabes fourmillent sur le sol... il n'y a rien... je ressens la tristesse et la désolation... Quelques minutes passent dans un grand silence. Elle reprend : Il n'y a pas d'issue... Puis le silence retombe.
    Je lui suggère de chercher une issue dans le paysage du rêve. Elle cherche et ne trouve pas. Je sens qu'elle n'a cherché que d'une manière horizontale. Je lui suggère alors de tourner son regard vers le ciel qu'elle n'a pas encore exploré. Le rêve redémarre aussitôt : Je suis emmenée dans les airs... j'ai peur de tomber... Sa peur est palpable et elle risque d'écourter la séance en sortant du rêve. J'interviens donc :
     - Que risques-tu si tu tombes ? Tu es dans l'imaginaire et ton corps sur le divan n'ira pas plus bas que celui-ci.
     Elle lâche prise et accepte de tomber. 
     - C'est drôle, je ne tombe pas l'air me porte... c'est agréable... et en plus, je peux aller où je veux ! J'ai vraiment la sensation d'ête soutenue.
    Que s'est-il passé ? Une peur insconsciente vient de s'éffacer par un lâcher-prise de la patiente. On pourrait dire, comme les sceptiques, que c'est purement imaginaire et que ça ne peut donc pas marcher. Sauf que la peur de Chloé était bien réelle à la fois dans le rêve mais aussi dans la vie courante. Chloé s'affaire sans arrêt, se tue à la tâche parce qu'elle est seule, parce qu'elle craint que tout ne s'écroule si elle n'intervient pas. 
     Par la sensation de soutien dans le vide ressentie dans le rêve, elle sait dorénavant qu'elle peut lâcher prise sur l'idée de la chute et de l'écroulement des choses qui lui faisait peur.
      
     Si Chloé ose lâcher prise dans la vie courante sur sa peur de l'absence de soutien en se rappelant la sensation de bien-être vécue dans le rêve, elle aura obtenu un supplément d'âme et sera débarrassée définitivement de cette peur-là, libérant ainsi l'énergie qu'elle devait déployer pour parer à l'absence de soutien. 
      Sinon, il faudra d'autres rêves de ce type pour achever de la dissoudre. 

L'effet du rêve éveillé  (Témoignage personnel)

     Peu après le début de ma cure de rêve éveillé, voici une scéance peu agréable qui me fait revisiter un comportement atavique.
     Je me promène sur une immense plage et au milieu se trouve plantée dans le sable, une vieille ancre rouillée. Il y a une place gigantesque pour passer de chaque côté. Mais non, je n'y arrive pas. Je ne peux éviter l'ancre et de me frotter dessus. Je sens la blessure du métal rouillé et coupant sur la peau de mes jambes. 
     Ce rêve sera le premier d'une petite série me voyant me blesser sur un tas de ferraille, sur des matériaux divers puis les rêves n'évoqueront plus ce thème. 
      La sensation est désagréable. Je sens en moi une force qui m'oblige à me frotter sur ce qu'il y a d'agaçant, d'inconfortable. Cela me rappelle des scènes d'enfance : j'avais 4 ou 5 ans, je suis à la plage avec un slip de bain tricoté par ma mère et ça me gratte l'entre-cuisse comme c'est pas possible. Quand c'est mouillé, c'est encore pire. Mais je dois obéir à Maman. Plus tard, on m'offre une somptueuse voiture à pédale, trop petite. Elle me coupe les genoux. Puis ce sera un splendide cyclo-rameur qui ne marchera jamais bien... des chaussures trop petites, des pantalons mal foutus, un inconfort à supporter pour ne pas déplaire à Maman. 
     La suite de ce rêve me verra vigilant à ne pas me laisser prendre et précipiter par l'étriqué qui sommeille en moi. J'apprendrais à le voir à temps, pour choisir l'ample et le confortable, sinon rien.

Le franchissement de seuil

    Chaque avancée décisive dans le processus d'individuation par le rêve éveillé est marquée par des images de franchissement de seuil comme un franchissement de :  rivière, ligne, pont, porte, escalier, route, écran, fenêtre, barrière, montagne, ciel, tunnel etc. Dans chaque scénario, le seuil marque un avant le franchissement signifiant une attitude qui limitait la personne et un après qui rétablit la dynamique évolutive en donnant de nouvelles perspectives.
  Le franchissement de seuil n'est pas le seul élément décisif dans la résolution de la problématique. Il est parfois accompagné d'une réduction de taille.

     Pour éclairer ce propos, voici mon propre témoignage :
     Je me promène sur un chemin creux. Une barrière rouge et blanche empêche de passer. Je suis gêné et l'ennui me gagne. Je saute la barrière pensant trouver la résolution de cet ennnui de l'autre côté. Non,  je trouve encore l'ennui...
    Ici, le franchissement de seuil attendu n'est pas le bon. Voici la suite : ... Puis, je deviens tout petit et m'enfile dans le tube creux de la barrière. Je ressors de l'autre côté et reprends ma taille normale. Ensuite, j'actionne la barrière pour faire passer les gens. Je ressens une joie forte à faire cela et l'ennui a disparu.
     Contrairement à l'image de la barrière, qui signale dans la majorité des cas, un franchissement de seuil, ici il est signalé par la réduction de taille et le franchissement du tube de la barrière, image qu'on peut assimiler à celle du tunnel.
    J'aurais d'autres rêves qui me situeront désormais non, pas d'un côté ou de l'autre d'un seuil, mais dans le seuil lui-même. Ainsi me retrouverais-je dans la vitre d'une fenêtre, ou sur l'appui de fenètre d'une église suivant l'office et regardant dehors en même temps.
    Mais ce premier rêve de franchissement de seuil accompagné d'une réduction de taille me place d'emblée, de l'autre côté, dans une fonction de passeur que je ne connaissais pas encore à l'époque du rêve.
 
    A propos de l'autre côté, voyons ce qu'en dit Georges Romey dans son "Dictionnaire de la symbolique des rêves": "A peine formulé, dès qu'entrevu, l'autre côté projette irrésistiblement le rêveur à la rencontre de ce qu'il est et qu'il n'osait pas être."
 
   Parmi les franchissements de seuil, il y a en un, rarement plusieurs, qui donne l'orientation générale d'une personne en définissant son rôle, sa Tâche sur terre. Ce sont des franchissement majeurs de seuil ou rêves initiatiques.  Il sont initiés par un ou plusieurs personnages tutélaires. Souvent une vieille femme sage pour les rêveuses et un vieil homme sage pour les rêveurs. Cependant, à notre époque ou la femme s'émancipe de la tutelle masculine, nous pouvons voir apparaître un couple de vieux sages tant chez une rêveuse que chez un rêveur. Mais cela peut être aussi un personnage mythologique.

Un exemple de rêve éveillé initiatique

     Le rêve éveillé qui suit est l'un des plus beaux que je connaisse. C'est un rêve initiatique car il fait appel à un personnage tutélaire qui assure la transition entre "ce que je me contente d'être" et "ce que je pourrais être".

   Je suis dans un avion, je survole une vallée.Je vois l'hélice devant et je fais des figures avec l'avion, des loopings, des virages, c'est agréable cette sensation de vitesse dès que j'actionne la manette, l'avion pique du nez ou se redresse selon ma manoeuvre. C'est agréable ce rapport d'immédiateté.

    Je me pose dans un pré, l'avion tressaute sur ses roues et s'immobilise. Je vois les 2 trainées laissées par les roues sur l'herbe. J'aperçois des marguerites et des points rouges : ce sont des champignons. Lorsque je descends de l'avion, j'ai un habit d'aviateur, des lunettes et un genre de cagoule. J'enlève l'ensemble et, maintenant dans le pré, il faut que je trouve une direction où aller. Ce n'est pas facile de passer d'une action à une autre car je ne sais pas pourquoi j'ai atterri dans le pré.

    Alors je prends mes affaires posées à l'arrière de l'avion et j'avance sur le chemin. C'est un chemin caillouteux qui part de l'herbage ; une barrière longe le bord du pré. Je suis le chemin. Il se rapproche au fur et à mesure de la barrière qu'il se met à longer. De l'autre côté, c'est une route.

   Sur le chemin, j'arrive au bout. Des escaliers me mènent à une plate forme. Je vois que je suis en altitude puisque je vois la vallée avec un fleuve en contrebas et des pentes couvertes de forêt. Je suis le chemin qui longe la montagne. Je croise un âne qui pait tranquillement dans un champ. Je le vois machouiller de l'herbe. Lorsque je passe, il me fait un clin d'oeil et fait bouger ses oreilles.

    Je monte sur un vélo posé là et je continue mon chemin. C'est agréable, je vais plus vite. J'ai posé mes affaires sur le devant du vélo. Je continue à cheminer  et j'arrive auprès d'une vieille femme avançant sur le même chemin. Je l'invite à venir s'asseoir sur le devant du vélo. Elle s'installe sur le berceau du guidon et elle m'indique le chemin à suivre avec son bâton.
     C'est agréable de pédaler ainsi.
   Elle me fait signe d'aller à droite et le vélo s'engage sur un chemin bordé d'arbres, une allée. Les frondaisons des arbres ombragent le soleil.
     Nous arrivons devant l'entrée d'une grande demeure. Elle me fait signe de descendre du vélo.

   Je l'accompagne à l'intérieur. Elle monte l'escalier central, un grand escalier en pierre blanche, et on prend ensuite l'aile de gauche, puis un corridor. Nous arrivons dans une pièce qui ressemble à une bibliothèque. Une vieille malle est posée là, elle me fait signe de l'ouvrir ; des affaires à l'intérieur.

    Des vêtements ou des étoffes vertes et rouges, semblables à de la soie. Elle me passe une jupe à fleurs en coton. Elle prend aussi des bracelets qu'elle fait glisser avec son bâton autour de mon poignet. Il y a aussi des pots emplis de confiture rouge et un trousseau de clé. Nous allons plus loin. J'ouvre une porte en bois avec les clés. Rien dans la pièce, juste une planche en bois avec 2 tréteaux et dans un coin, une marmite.

    Elle verse dans la marmite le contenu des pots, cela fait des gros bouillons rouges et la vapeur rouge teinte la pièce en rouge, les murs blancs deviennent rouges. J'apporte des récipients en verre. Elle verse dedans le bouillon rouge qui devient violet à l'intérieur du récipient. Je pose les récipients sur la table au fur et à mesure puis je m'assois sur une chaise. Dans un bac, j'ai des étiquettes de rangées et j'écris à la plume dessus, puis je les colle sur les récipients. Je mets ensuite les couvercles et les pose.

    Cela dure longtemps car il y a des récipients de plus en plus petits.

    Je colle les étiquettes et les range au fur et à mesure sur la table par ordre de grandeur, du plus grand au plus petit. C'est rigolo, parce que les étiquettes sont toujours de la même dimension et les petits récipients sont presque entièrement entourés. 

    Quand la table est emplie de récipients, la vieille femme éteint sa marmite et pose dessus un grand drap rouge. Dans certains récipients, j'aperçois des choses vertes qui sont sur le magma à l'intérieur.

   Je m'approche, je vois qu'il s'agit de naissances d'arbres. Je vois une minuscule feuille au bout de brindilles. Je me rends compte que j'ai disposé les récipients d'une certaine manière. Ainsi rangés par ordre du plus grand au plus petit, ils reçoivent tous le soleil. Pas un ne fait obstacle à l'autre: la table est orientée juste en face de la fenêtre et le soleil l'éclaire.

    C'est un grand plaisir de contempler cela !

     Le rêve ci-dessus a été fait par une femme de 45 ans. Elle est dotée d'une grande sensibilité et ne s'autorise pas à exprimer ses désirs et pensées. Dans sa prime enfance, elle s'est conformée  à l'interdit familial, en percevant avec terreur, qu'exprimer ses désirs mettait en danger de mort sa parentèle, ce qui lui était insupportable et compromettait sa survie. Cette qualité unique de perception et d'expression refoulée dans l'enfance, s'exprime à l'âge adulte sous forme de projection sur les personnes qui lui portent de l'întérêt. Elle les soumet à une double contrainte qui est celle de deviner et d'accèder à ses propres désirs sans qu'elle ait besoin de les exprimer. C'est une stratégie d'évitement qu'elle a adopté pour éviter de souffrir à nouveau de ce "terrible" traumatisme. 

    Ainsi quand l'un de ses amis n'ayant pas de nouvelle, lui suggère l'idée qu'elle est peut-être malade, cause supposée de sa non-réponse, elle répond : "Quelle drôle d'idée de penser que je suis malade !"  Elle témoigne alors que  l'enfant  terrorisé gouverne toujours sa vie en faisant peser sur l'autre la responsabilité qui n'imcombe qu'à elle. 

La sorcière

     Le personnage tutélaire qui va induire des comportements nouveaux est ici une sorcière, le genre Baba-Yaga des contes Russes.

   On reconnaît le personnage à ses attributs: ici la marmite, d'autres fois c'est le mortier et le pilon. Ce sont des ustensiles nécessaires à la transformation de la matière première de l'âme.

  L'ancien comportement est symbolisé par l'avion. Il signifie que la rêveuse se contentait de survoler les sentiments qu'elle avait des choses. C'est ce que pouvait tout juste lui permettre l'enfant blessé pour vivre quand-même une vie "acceptable". 

   Ensuite, il y a un passage intermédiaire symbolisé par l'escalier, puis une sorte de rite initiatique pour passer d'un mode de vie et de représentation à un autre inconnu encore.

   La couleur rouge présente partout signifie la vie qui circule comme le sang. La couleur verte, la croissance intérieure. La couleur violette est l'alliance du bleu et du rouge, la vie spirituelle et la vie physique ensemble. Le blanc signifie le figé, la vie qui ne circule pas et qui se préserve, la virginité ou le non-engagement. 

    La fin du rêve voit la rêveuse coller des étiquettes sur les récipients. Ce qui signifie qu'elle est invitée à nommer ses perceptions du réel, ses sentiments et ses pensées. Et de manière très précise et de plus en plus fine. En effet, le rêve montre que la dimension des récipents décroît alors que la dimension des étiquettes reste la même. Ce qui signifie qu'elle est invitée à nommer de la même manière des perceptions intimes de plus en plus petites.  Et ce faisant, quand elle les classifiera, elle s'aperçevra que ces perceptions iront en s'accroissant (les pousses vertes reçoivent le soleil sans se faire d'ombre). Les pousses vertes sont des naissances d'arbres. Ce qui signifie qu'en exprimant ce qu'il y a de plus fin et subtil en elle, elle participe à la naissance de ces possibilités chez d'autres personnes. C'est sa contribution à "l'arbre de vie".

   L'âne, la monture des saints, symbolise la simplicité. Ici, c'est la simplicité qui encourage la rêveuse sur le chemin de sa transformation intérieure. Celle de nommer ses perceptions et d'accompagner ceux qui comme elle avaient mis sous le boisseau toute leur sensibilité et leurs émotions.

     La rêveuse connaît à présent sa Tâche. Cependant, il faudra beaucoup d'autres rêves pour évacuer ce qui se met en travers du chemin et une grande détermination pour quitter sa manie confortable de survoler les choses pour adopter une attitude plus active et respectueuse de ses sentiments et perceptions en les nommant.

     Mais pour mettre en oeuvre cette Tâche, elle devra se confronter au réel, examiner ses gênes, ses agacements et souffrances ordinaires, les superposer à des souvenirs d'enfance de même qualité émotionnelle jusqu'à retrouver l'enfant et le délivrer de la culpabilité qu'elle s'était collée sur le dos pour ne pas blesser Maman ou Papa, et consentir enfin à voir qu'elle s'était soumise volontairement à la peur de ses parents. Elle pourra enfin dire: " La peur que j'ai d'exprimer mes ressentis, c'était votre peur et je vous la remets".  Ainsi, elle se sentira délivrée du carcan dans lequel elle avait mis sa vie. Elle ne se sentira plus gênée par ceux qui expriment facilement leurs pensées et sentiments et qui la sollicitent pour partager cette liberté avec elle. Elle pourra dire, sans crainte, ce qu'elle ressent et ce qu'elle désire au plus profond d'elle-même et en aider d'autres sur ce même chemin.  

Un passeur mythologique

    Parfois le personnage tutélaire est issu de la mythologie, souvent en lien avec le milieu culturel du rêveur (judéo-gréco-chrétien) comme le montre  mon propre témoignage, même si je ne suis pas musulman.:
    Je suis sur une plage et je vois un vieil homme couvert d'algues avec un trident dans la main. De l'autre, il me montre le soleil. Aussitôt, je me sens projeté dans le soleil. Puis je regarde la terre. La bas une sorte de blockhaus. Le soleil me prète ses rayons pour que la lumière éclaire partout dans le bâtiment sans laisser un coin dans l'ombre. Une jeune femme apparait, joyeuse parce que je lui apporte quelque chose d'elle-même qu'elle ne connaissait pas encore. Je m'entends prononcer ces paroles : "Je sais". 
  Après quelques recherches, j'ai pu voir que ce vieillard de la mer peut s'assimiler à Protée (Voir ici...) un avatar de Poséidon, ou mieux, à Al Khidr, ce personnage du Coran appelé aussi le Verdoyant, que Moïse a rencontré au cours du voyage pendant lequel il sera témoin d'actes qu'il juge répréhensibles. Le Verdoyant de guerre lasse, finit par lui donner l'intelligence cachée de ses actes   (Le Coran : sourate 18, La caverne).


    Non, ce n'est pas moi qui sait mais Neptune-Protée-le Verdoyant, cette part de moi-même cachée dans "les profondeurs de la mer", l'inconscient, que je peux interroger quand je ne sais pas. Interroger pour aider les personnes à mieux connaître la part d'elles-mêmes qu'elles jugent "répréhensible" et qui est pourtant la meilleure.
     Sont cachés dans ces mythes, la façon dont chacun doit s'y prendre pour dépasser ses propres limitations.
     Moïse, motivé par la compréhension des choses, doit suspendre tout jugement habituel sur des actes qu'il considère  mauvais afin d'accéder à une connaissance plus grande dans un dépassement de ses propres jugements. 
    Ménélas, pour parvenir à retrouver son individualité, doit revivre la puanteur de ses jugements sur lui-même et de tenir serré son questionnement afin d'obtenir une réponse évidente et claire.

D'autres franchissements majeurs de seuil

    Parfois le personnage tutélaire n'est pas aussi typé. Il peut prendre la forme d'un couple de paysans. Le rêve qui suit a été  fait par un homme célibataire de 48 ans souffrant d'une grande timidité et dont les relations humaines sont difficiles. Précarité sociale et affective.
    Ce n’est pas un intellectuel mais il ne peut pas s’empêcher de se comparer à ceux qui brillent par leur esprit en société. Et dans cette situation, sa timidité le déstabilise au point de devenir idiot et de transpirer à grosses gouttes. Et plus il se sent démuni, plus il déploie de l’énergie pour exister à leurs yeux.
    Après treize rêves explorant les diverses faces de sa problématique,  voici un rêve déterminant. Ici pas de Baba-Yaga ni de personnage mythologique mais un simple couple de gens accueillants. Le seuil ou le passage d'une personnalité errante et  cahotante à une personnalité avec une tâche se fait par le franchissement d'une nuit de repos dans une maison accueillante.

    Un attelage de chevaux avec une carriole qui circule dans la campagne. Je suis sous la capote  et je dirige l’attelage. Tout me parait tranquille. Je me laisse balloter par les cahots du chemin.
    Au loin, une chaumière, je m’y arrête, c’est la fin de la journée. Une femme sort de la maison. Je lui demande une place auprès du feu. Je me réchauffe. L’atmosphère n’est pas pesante. Elle est calme et chaleureuse, reposante.
    Je lui explique que j’ai encore beaucoup de route à faire. Elle me propose de dormir sur place si j’en ai envie. J’accepte en disant que je peux la dédommager de son hospitalité.
    Je pense à un fusil. Son mari rentre de la chasse. Il me dit bonjour sans être étonné de ma présence. Il me parle de son travail et m’interroge sur le mien sans être insistant. Je ne me sens pas obligé de répondre, c’est chaleureux, calme et simple, je suis en confiance.
    J’explique que je vais de village en village, travaillant un peu. Je monte me coucher.
    Le matin, la femme est seule. Je me prépare et continue ma route.
    J’arrive dans un village vétuste en rénovation. Je propose mes services et on m’embauche facilement. On m’accepte et je me sens à l’aise. Je trouve des solutions à des problèmes techniques.
    Après plusieurs mois de travaux collectifs, je vais travailler sur ma maison. Je voyage quand même, mais c’est mon point de chute. Dans cette situation, je me sens en paix, tout paraît simple.
    Ce rêve montre un avant; une vie faite des cahots d'une errance de petit boulot en petit boulot. Et un après; une vie au service de la collectivité dans le domaine des solutions techniques. 
    J'ai eu l'occasion de voir cet homme à l'oeuvre lors du déménagement d'une amie. Là où nous avions de la peine à saisir un meuble ou à faire passer un lit par un escalier étroit, il nous guidait avec une maîtrise et une précision hors du commun. C'était son don, la Tâche qu'il est seul à posséder, à mettre au service de la vie.
    Et chaque fois qu'il faillira à cette Tâche, la timidité sera là pour le rappeler à l'ordre en le rendant complètement idiot. 

In fine

     Le rêve éveillé est un formidable outil de connaissance de soi, plus facile à produire et à fixer, moins sujet à l'évaporation que le rêve nocturne. Il permet des voyages fabuleux dans l'inconcient personnel et collectif, permet des réconciliations parentales, familiales et culturelles. Cependant, il ne peut en aucun cas se substituer à la confrontation au réel
     Ce qui est perçu en rêve doit être éprouvé dans la vie ordinaire pour que la transformation intérieure soit effective. Ce sujet est traité dans la rubrique le quotidien comme exercice.  Voir ici...
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Philémon

   Philémon (CG Jung)

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